L'une des principales causes du retard accusé par l'Hexagone dans la transformation numérique de son outil productif réside dans la pénurie de compétences dans les métiers stratégiques de l'informatique et de la data dans les entreprises industrielles. Un problème de longue date, dont les racines remontent à une quarantaine d'années.
Pendant quatre décennies, les meilleurs profils en ingénierie des systèmes d'information, développement logiciel et data science ont eu tendance à bouder massivement les opportunités dans le secteur industriel. Plus attirés par les perspectives de carrière et les rémunérations proposées par la banque, le conseil, les télécoms ou les licornes de la tech, ces talents se sont largement détournés des entreprises aux process jugés trop traditionnels.
Résultat : les grands groupes industriels comme les PME peinent aujourd'hui à recruter les compétences clés pour mener à bien leur mue numérique. Dans les usines, le rôle stratégique de Directeur des Systèmes d'Information (DSI) est trop peu valorisé et souffre d'un déficit d'attractivité criant.
De plus, il existe peu d’incitations pour une DSI de prendre le risque de la transformation. En effet, la première chose qu’on attend c’est que la production informatique fonctionne correctement sans accrocs et qu’on en n' entende pas parler. Donc surtout ne changeons rien pour ne pas prendre de risque. La dette technologique est peu visible de l’extérieur, et ce sera la tâche du successeur de la gérer. Saviez vous que des serveurs gérant des processus critiques tournent encore sous windows XP dans certaines usines?
Une situation qui ne fait que creuser mécaniquement la "dette technologique" de ces entreprises, avec des systèmes d'information vieillissants, des architectures rigides, et des organisations IT en souffrance. Selon une étude de McKinsey, le budget alloué aux systèmes d'information ne représente en moyenne que 4% du chiffre d'affaires dans l'industrie, contre... 15% chez un acteur de pointe comme Tesla !
C'est un cercle vicieux : moins on investit dans les systèmes d'information, moins on attire les talents IT pour les faire évoluer, ce qui fait qu'on investit encore moins car on ne voit pas le bénéfice de la transformation.
Certains fleurons comme Michelin ont certes développé un réel savoir-faire pour attirer ces profils devenus rares et chasser sur les mêmes terres que les GAFAM ou les fintechs. La clé ? Notamment une plus grande souplesse dans l'organisation du travail, avec la possibilité de télétravailler plusieurs jours par semaine et des modes de fonctionnement asynchrones.
Dans la plupart des autres entreprises industrielles plus traditionnelles, l'obligation d'être au bureau à 8h30 le matin fait encore trop souvent fuir les développeurs de haut niveau alors que ces derniers codent parfois une grosse partie de la nuit.
Pour les métiers en tension émergents comme les data scientists, la solution passe aussi par un effort massif de formation en interne. En montant en compétences des profils déjà présents dans leurs rangs et férus de nouvelles technologies, les industriels peuvent s'assurer de conjuguer une appétence pour l'IT avec une connaissance pointue des processus métiers.
Un profil hybride idéal, est souvent bien plus efficace qu'un recrutement externe coûteux et aux résultats aléatoires.
De plus, donnons les moyens financiers et humains aux équipes d’embrasser la transformation, arrêtons le saupoudrage budgétaire. Michelin à nouveau a été capable d’investir 1 milliard d’€uros (1 000 000 000€) pour sa transformation.
Repensez votre organisation en séparant les responsabilités de gestion (run) de celles de la transformation (build) afin d’aligner les objectifs et veiller à leur coordination / Synchronisation en créant des équipes IT embarquées.
Le Core It doit être standardisé mais combiné avec des services cloud, déployés par des équipes embarquées IT dans les métiers, au plus proche des besoins terrains. Gestion des process, cas d’usage, technologie et standard doivent être gouvernés en central mais l'exécution doit être suffisamment souple pour permettre des adoptions partielles au regard des besoins terrains.
Bref, que ce soit en formant ses propres talents numériques ou en se réinventant pour en attirer de nouveaux, les enjeux des compétences et d’organisation apparaissent parmi les défis les plus urgents à relever pour l'industrie française. Faute de quoi, le retard continuera de se creuser inexorablement face à des concurrents qui ont d'ores et déjà entamé leur transformation.